Entretien avec Ivan, jeune ayant fui la mobilisation en Russie

Entretien avec Ivan, jeune ayant fui la mobilisation en Russie

 Ivan est un jeune qui a fui la Russie pour ne pas être enrôlé dans l’armée russe et aussi fuir les menaces contre sa vie du fait de sa double origine, russe et ukrainienne. Interview par l’initiative de solidarité qui Olga Taratuta participe à son accueil.

 

Olga : Bonjour Ivan

Ivan : bonjour Olga. Je m’appelle Ivan, je suis un jeune de 24 ans. J’habite Moscou, où je vis avec ma mère qui est russe. Je suis de nationalité russe, même si mon père est ukrainien et vit à Kiev. Je suis étudiant en sciences humaines.

 

Olga : comment as-tu appris le début de la guerre en Ukraine ?

Ivan : j’étais en voyage en Europe avec mon petit ami, avec un visa Schengen de tourisme. Lui est rentré directement en Russie. Moi j’ai compris vu ma situation personnelle que cela risquait d’être compliquée pour moi. Je me suis inscrit dans une université du pays européen ou j’étais alors pour pouvoir bénéficier d’un visa « étudiant » de longue durée et essayer de me bâtir un avenir loin de la folie de la guerre. Déjà je ne me voyais pas pouvoir remettre les pieds en Russie. Cependant, pour bénéficier de ce visa, je devais retourner en Russie pour demander officiellement un visa étudiant auprès de l’ambassade du pays en question à Moscou. À ce moment-là, les ambassades n’étaient pas fermées, et tout le monde faisait semblant de respecter un certain « formalisme ». Je suis donc rentré pour faire les démarches administratives requises. 

Cependant, à mon retour, j’ai tout de suite compris que cela n’allait pas être simple. De plus, sur mon téléphone, j’ai commencé à recevoir des menaces de morts très explicites de la part de parfaits inconnus, en raison à la fois de mon origine paternelle ukrainienne et aussi du fait que je suis homosexuel.

Comment ces gens ont eu mon numéro de téléphone et les informations me concernant ? Je l’ignore… Peut-être via le Centre de recrutement militaire ? Il faut savoir qu’en Russie le service militaire est obligatoire pour tous les jeunes hommes et que dès l’âge de 18 ans, vous devez aller vous faire enregistrer au Centre de recrutement de votre quartier ou ville.

Olga : quelle a été ta réaction à l’annonce de la mobilisation par Poutine ?

Ivan : quand Poutine a annoncé la mobilisation, j’ai compris que j’étais en grand danger, car l’armée russe a besoin de chair à canon. Les démarches administratives pour mon visa étudiant étaient de toute façon bloquées. J’ai alors décidé de m’enfuir. Comme j’avais mon visa Schengen tourisme qui était toujours valable, je suis parti en Azerbaïdjan pour ensuite rejoindre l’Europe. J’avais lu dans les médias, notamment les médias sociaux, que l’Allemagne disait accueillir les Russes qui fuyaient l’armée, j’ai donc choisi d’aller dans ce pays même si mon visa avait été attribué par la France.

Olga : comment as-tu été reçu en Allemagne ?

Ivan : cela a été une grande désillusion. On m’a tout de suite fait sentir que je n’étais pas le bienvenu, contrairement à ce qui est proclamé partout. À ma descente d’avion, j’ai été voir les services d’immigrations pour déposer une demande d’asile. Ironiquement, on m’a fait comprendre que si j’avais la nationalité ukrainienne (j’aurais pu la demander vu que mon père est Ukrainien, mais je n’ai jamais fait la démarche, car pour moi la nationalité n’a pas vraiment d’importance, ce n’est qu’une formalité administrative) j’aurai eu immédiatement le statut de réfugié. Mais en tant que russe, je les gênais plus qu’autre chose… Ils m’ont alors immédiatement emmené dans un Centre de rétention administratif (CRA) qui se trouve au sein de l’aéroport. Ce centre est dans une zone « hors douanes » donc officiellement ce n’est pas le territoire allemand, c’est une sorte de « no mans land ». En fait, c’est surtout une prison.

Les flics allemands étaient très froids, très « administratifs » dans leurs relations avec les détenus. J’étais quasiment le seul européen, tous les autres étaient des réfugiés du Soudan, de Turquie, d’Afghanistan. J’ai noté que les policiers avaient un comportement raciste dans le sens où ils ne me traitaient pas aussi durement que les autres réfugiés. Cela m’a rendu triste, car je me sentais solidaire de mes autres camarades d’infortune. Sinon, il faut savoir aussi que cette prison est géré par les autorités allemandes comme un « hôtel » : si vous avez les moyens financiers, vous devez payer votre séjour : 135 euros la nuit ! Une prison au prix d’un 3 étoiles !!! Comme ils avaient saisi l’argent liquide que j’avais sur moi, ils n’ont eu qu’à se servir ! Ils m’ont donc pris 4000 euros pour le mois que j’ai passé dans le centre, soit plus de la moitié de mes économies !

Olga : comment t’es-tu retrouvé en France

Ivan : au bout de plusieurs semaines, ils m’ont expliqué qu’ils ne me donneraient pas l’asile, car en vertu de la procédure de Dublin, j’aurai dû la déposer en France, pays émetteur de mon visa. Donc, ils allaient m’expulser en France. Et en plus, j’étais interdit de territoire allemand pendant au moins 30 jours pour ne pas avoir respecté les règles d’entrée sur le territoire !!! Au bout d’un mois, ils m’ont dit qu’ils s’étaient mis d’accord avec les autorités françaises et que je serai expulsé incessamment donc que je devais me tenir prêt à partir à tout moment ! Ils m’ont demandé si je connaissais quelqu’un en France susceptible de m’accueillir, mais je ne connaissais personne. J’ai informé par téléphone ma mère qui a fait fonctionner son réseau d’amis. Finalement, elle m’a trouvé une personne qui acceptait de dire qu’elle serait ma référente sur place. Le jour j, les policiers des frontières allemands sont venus me chercher sans préavis pour m’emmener dans un avion, en me disant que je serai attendu à mon arrivée en France.

Arrivée à destination, dans l’aéroport le plus proche du lieu de résidence du contact fournit par ma mère, en fait personne ne m’attendait. Ni le contact de ma mère qui n’avait pas été prévenue, ni la police des frontières. Un steward de la compagnie aérienne m’a indiqué où je devais me rendre pour me signaler. Arrivée au poste de police, ils m’ont regardé, étonné, ne comprenant pas qui j’étais ni ce que je faisais là. Finalement, après avoir fouillé dans leurs ordinateurs, ils ont fini par retrouver le message des Allemands qui les informait de mon arrivée. Ils m’ont dit que je pouvais partir, puisque de toute façon, j’avais encore un visa de tourisme valide. Et ils m’ont donné l’adresse où me présenter pour déposer une demande d’asile.

Olga : Que s’est-il passé ensuite ?

Ivan : Finalement, j’ai pu rejoindre le contact de ma mère. Une personne très gentille mais très âgée. Je voyais bien que je n’allais pas pouvoir rester avec elle longtemps. Par l’intermédiaire d’une association en Allemagne d’aide aux déserteurs, avec qui j’étais en lien déjà quand j’étais emprisonné dans le CRA, j’ai eu des contacts avec différentes associations en France, dont l’initiative Olga Taratuta.

Finalement, quelqu’un a généreusement proposé de m’héberger temporairement en région parisienne, où j’ai pu déposer formellement une demande d’asile.

 La demande d’asile, c’est un vrai parcours du combattant : il faut enchainer les rendez-vous avec de multiples services et administrations, en faisant des queues interminables pendant lesquelles les policiers vous maltraitent. Et encore moi, j’ai de la chance car étant européen, je vois bien que les flics sont plus gentils avec moi qu’avec les autres demandeurs d’asile africains ou asiatiques, qu’ils traitent vraiment comme des chiens.

 Une fois que j’aurais fini cette série d’entretiens, je devrais attendre d’être fixé sur mon sort. Cela peut prendre plusieurs mois.

Olga : comment survis-tu pendant ce temps ?

Ivan : j’ai ce qui me reste de mes économies, mais la vie est chère en France. Ma mère m’envoie un peu d’argent qu’elle transfère via des amis qui résident en Turquie ou autre, pour contourner les restrictions bancaires internationales. Mais cela coute aussi très cher.

Et puis ma mère n’est pas très riche et elle vient de perdre son travail. Je fais aussi des dessins, peut-être que je pourrai en vendre pour gagner un peu d’argent ?

Olga : comment vois-tu ton avenir à court et moyen terme ?

Ivan : déjà ce que je sais, c’est que je ne remettrai plus jamais les pieds en Russie. Je ne veux plus y retourner, ce pays est mort pour moi. Je compte me rendre dans l’université européenne où je me suis inscrit, car les études qu’ils proposent m’intéressent et je pense que cela pourra me donner des opportunités dans le futur. Il ne faut jamais perdre l’espoir.

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Initiative de solidarité « Olga Taratuta » avev ls déserteurs, les pacifistes et les réfugiés d’Ukraine, de Russie et de Belarus

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