La guerre est devenue une routine quotidienne : deux conversations avec le journal clandestin de Kharkov, Assembleia

Le collectif Assemebleia  (https://assembly.org.ua/) a accordé fin février la première interview de ces six derniers mois au site internet suisse Das Lamm. Il a été publié le 13 mars avec des coupures importantes dues au format de ce média. La traduction ci dessous a été faite à partir de la version anglaise publiée sur le site Libcom, elle même issue de  la version originale plus détaillée. Nous  exprimons notre sincère gratitude à Timo Krstin pour le travail accompli.





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Sur la photo de titre - Frappe russe avec deux missiles sur le centre-ville de Kharkiv, le matin du 5 février 2023.

 

 Premier Interview

 

Pouvez-vous me parler un peu de votre organisation ?

 Assembly.org.ua est un magazine en ligne de contre-information basé dans la ville ukrainienne orientale de Kharkiv (Kharkov), la deuxième plus grande ville du pays, à environ 40 kilomètres de la frontière russe.

 Que faites-vous ?

 Notre travail est organisé sur une base horizontale et nous avons trois projets principaux. Le premier concerne la guerre : nous fournissons des conseils juridiques et publions des informations sur les raids qui aident les habitants de notre ville à éviter d'être enrôlés de force dans l'armée ukrainienne. Nous assurons le suivi de toutes les informations sur les actions de base [non étatique] – des manifestations contre la guerre jusqu’aux  - qui sont réalisées n Russie au-delà des unités étatiques ukrainiennes et nous les traduisons également en anglais pour notre chronique sur Libcom.org. La deuxième direction est urbanistique : nous surveillons les préparatifs des autorités locales pour la restauration de la ville d'après-guerre et dévoilons leur détournement par les politiques à des fins personnelles ou dans l'intérêt des promoteurs qui leur sont associés.

 Vous avez parlé de trois projets principaux. Quel est le troisième ?

Le troisième est le soutien matériel aux personnes dans le besoin. Presque immédiatement après un précédent entretien avec nous, depuis la mi-septembre, des frappes régulières de missiles russes ont commencé sur les infrastructures énergétiques civiles ukrainiennes. Notre ville n'a pas fait exception, les ayant subies plus d'une douzaine de fois. Et si maintenant les pannes ne dépassent généralement pas 3 à 4 heures par jour, alors en décembre, les pannes ont souvent duré 7 à 8 et même 12 heures. Bien sûr, cela a considérablement augmenté la demande d'aide humanitaire.

Quel type d'aide humanitaire est nécessaire?

 D'une part, le 1er décembre, les autorités municipales de Kharkov ont ouvert la distribution de plats chauds gratuits dans les écoles et l'État a commencé à équiper les rues de "points d'invincibilité" où les gens peuvent se réchauffer et recharger leurs gadgets gratuitement. Dans le même temps, tant de personnes ont perdu leur emploi en raison de fermetures d'entreprises ou ont perdu leur salaire en raison des employeurs compensant les pertes causées par les pannes d'électricité en prenant l’argent dans les poches des travailleurs, que des groupes de bénévoles comme le nôtre ont encore beaucoup de travail à faire. Cela doit être fait avec beaucoup de soin afin de ne pas rencontrer une patrouille militaire. Si vous souhaitez nous apporter une aide matérielle, vous pouvez vous joindre à notre principale collecte de fonds Mutual Aid Alert East Ukraine. [contacts à la fin de l'article]

 Puisque l'hiver est entré dans sa dernière semaine [interview réalisé fin février], il est temps d'en faire le bilan. Nous pouvons dire que nous y avons survécu beaucoup plus facilement que prévu. D'abord grâce au temps anormalement chaud : la température ici n'est pas descendue en dessous de -10°C, et encore très peu. Deuxièmement, le système énergétique ukrainien n'a pas été complètement détruit et les réseaux énergétiques restants ont réussi à s'adapter aux nouvelles conditions. Enfin, la consommation d'électricité par l'économie a également fortement diminué en raison de la fermeture de grandes entreprises industrielles. Si à l'automne ils essayaient de remettre en route le système électrique après chaque panne, maintenant ils semblent complètement abandonner cette ambition. Grâce aux dons de nos camarades européens, nous avons pu mettre en place un point de chauffage communautaire dans la maison privée de notre membre à la périphérie sud relativement sûre, et le besoin s'est avéré moindre qu'il aurait pu l'être.

 Quand avez-vous commencé votre travail ?

 En général, nous avons vraiment été actifs depuis le 30 mars 2020 - dès qu'il y a eu un sentiment dans l'air que ce statu quo habituel s'était enfin fissuré. Le début d'une pandémie mondiale nous a pris par surprise ! C'était inhabituel de rester à la maison tout le temps. Dans certains lieux de travail de nos camarades, le salaire a été réduit de 20% et on craignait des licenciements. Mais quelques semaines après le début de la quarantaine, nous avons commencé le développement de notre site Web et avons ainsi commencé à parler de problèmes sociaux aigus et à aider les gens à s'unir pour s'entraider directement face à cette crise.

Vous avez dit que l'accent était mis sur le travail journalistique. Quel type d'informations fournissez-vous ?

 Récemment, un certain nombre de documents ont été publiés sur notre propre site web de ressource et ils ont obtenus un grand écho dans la ville - par exemple, sur la façon dont le bureau du maire s’est bâti un réseau de relations publiques en utilisant le plan directeur pour la reconstruction d'après-guerre de Kharkov par des architectes britanniques, en réalité appliquant exactement les choses opposées prévues par le plan. Non moins importante a été la présentation, exclusivement couverte par nous, de plusieurs collectifs horizontaux de développement urbain apparus l'année dernière pour discuter de la manière de rendre la ville confortable pour tous et d'avoir une communauté active après la guerre.

Au moment de la fondation de notre journal électronique, notre raisonnement ressemblait à ceci : si au moins 10 % de la population de notre ville comprenait mieux que le maire et le conseil municipal comment fonctionne la ville - par exemple le système de transport public -  alors pourquoi avons-nous besoin de leur administration ? C’était en quelque sorte notre idée. [développer la conscience des gens qu’ils peuvent gérer la ville eux même, sans élus corrompus].

Est-ce que les gens acceptent votre travail ?

Oui, même au plus fort des coupures d’électricité de décembre, lorsque les vues de tous les médias internet ont fortement chuté, notre magazine a affiché une tendance positive. Au cours de ce mois, nous avons dépassé les médias municipaux de près de 25 000 visites !

Le journal est rapidement devenu un lieu où le segment pacifique de la lutte sociale et de l'auto-organisation pouvait rencontrer l'underground radical, et il a commencé à vraiment être à la hauteur de son nom [Assembleia en Ukrainien er Russe signifie « Assemblée générale ». Le terme « assemblée » au sens institutionnel (assemblée nationale) est собрание sobranié]. Nous avons couvert les événements de rue, les luttes en milieu de travail et les problèmes de développement urbain dans notre métropole. Et ont également tenté de restaurer la mémoire historique sur les traditions ouvrières révolutionnaires.

Ressentez-vous un impact politique de vos textes ?

 Au printemps, le conseil municipal de Kharkov a présenté une soi-disant initiative bénévole pour restaurer la ville, dirigée non pas par un architecte ou un urbaniste, mais par un créateur de vêtements affilié au conseil municipal – une manière évidente de voler le budget de la reconstruction en utilisant cette couverture fournie par les élus de la mairie - mais après que nous ayons exposé dans notre publication qui est ce « jabrone »(escroc ?) et ce que l'on sait de son rôle, il s'est retiré de ce projet. Car si la reconstruction est organisée par une personne qui n'a rien à voir avec cette profession, mais qui est proche des autorités, il est évident qu'il s'agit d'un projet fictif des autorités elles-mêmes. La municipalité de Kharkov est très corrompue même selon les normes ukrainiennes, donc rien que pour énumérer tous les stratagèmes qu’ils utilisent pour voler le budget, il faudrait un entretien séparé.

 Avant le début des attaques régulières de missiles sur les infrastructures énergétiques, nous espérions que la guerre se terminerait un peu plus tôt, au moins pour notre région, nous préparions donc une campagne de volontaires hors ligne pour restaurer les quartiers blessés. Mais il n'y a pas de fin à la guerre à l'horizon, donc au lieu de ces plans, nous avons commencé à contrôler ce que font les autorités municipales sous prétexte de reconstruction d'après-guerre de la ville ou de son adaptation aux conditions de guerre. Nous sommes heureux de ne pas être seuls dans ce domaine et d'avoir quelqu'un pour fournir un soutien médiatique, mais la plupart des travailleurs de Kharkov sont maintenant, bien sûr, préoccupés par les questions de survie quotidienne, et non par les problèmes conceptuels de leur environnement.

Comment se passe la vie dans cet état d'urgence ? Comment est la politique dans cet état d'urgence (êtes-vous encore capable de suivre vos idées, d'agir selon votre politique) ?

 Depuis l'été de l'année dernière, l'anarchisme spontané a sensiblement augmenté parmi les masses - beaucoup pensent déjà que le choix entre deux dictatures bananières de droite n'est pas un choix. Cela a considérablement augmenté la popularité de notre site Web - les nouvelles sur la brutalité militaire et policière gagnent maintenant facilement des milliers et des milliers de vues.

 C'est important car en même temps, les manifestations de rue dans de telles conditions sont impossibles. Par exemple, plusieurs rassemblements de marins ont eu lieu à Odessa à l'automne, exigeant qu'ils soient autorisés à quitter le pays pour travailler sur des navires étrangers.

Que s'est-il passé après les manifestations ?

Ils se sont terminés par le fait que les hommes qui manifestaient ont reçu des citations à comparaître au commissariat militaire (centre d'enrôlement) et qu'une affaire pénale a été ouverte contre la dirigeante de l'Union des marins ukrainiens, soupçonnée de leur avoir fait passer des documents achetés (probablement parce qu'[en tant que femme], elle n'est pas passible du service militaire). Mais une énorme somme de solidarité a été rapidement levée et versée en caution, alors elle a quitté le centre de détention provisoire une semaine plus tard.

Quelles tendances politiques y a-t-il dans le groupe ?

Notre politique éditoriale est généralement anarchiste sociale, néanmoins nous n'avons pas d'examens d'idéologie et de théorie comme lors de l'admission dans un parti marxiste. Nous sommes prêts à coopérer avec différentes personnes et initiatives, si elles ne sont pas contrôlées par des politiciens ou des structures bureaucratiques, si elles soutiennent l'action directe horizontale d'en bas et veulent être utiles à la communauté locale, malgré la menace d'éventuelles persécutions.

La guerre a-t-elle changé vos politiques et vos tactiques politiques ?

En principe, il y a deux points de vue principaux au sein de l'équipe : le premier est que tous les efforts doivent être consacrés à contrecarrer les politiques autoritaires des États qui sont en guerre sur notre terre. L'autre est que nous devrions essayer de ne pas prêter attention [à la guerre] et plutôt nous engager dans la lutte contre les patrons insolents, l'accaparement des terres urbaines et d'autres choses [que nous faisions déjà] en temps de paix, comme si de rien n'était. Dans notre fil d'actualité, vous pouvez voir de tels matériels sur ces sujets.

Que pensez-vous du gouvernement Zelensky ?

 Nous vivons dans un régime dictatorial militaire, semblable à la Russie des années 2000, mais se rapprochant rapidement de la Russie actuelle, donc, dans de telles conditions, les seuls vrais moyens de résistance sociale restent l'information mutuelle, l'évasion ou le boycott : il ne s'agit pas seulement de la mobilisation [militaire], mais aussi, par exemple, de boycotter les entreprises qui ne paient pas les salaires au prétexte que ce sont des conditions de temps de guerre. Les conscrits [les jeunes qui sont appelés à s’enrôler dans l’armée] se comportent de plus en plus comme des guérilleros de rue: quand ils voient une patrouille militaire chargé de faire appliquer les citations à comparaître [et d’embarquer les jeunes pour les enrôler] - ils traversent de l'autre côté de la route, se couchent dans la rue pour qu’on ne les voient pas, rampent sous les voitures en stationnement et partent en courant en traversant les cours d’immeubles. Il est triste que toute la ville, où il y a maintenant environ un million d'habitants, ait peur de plusieurs centaines de policiers militaires déguisés en "postiers" [pour ne pas être repérés], mais jusqu'à ce que l'armée russe tourne ses baïonnettes contre son propre pouvoir, la lutte sociale radicale en Ukraine est pratiquement suicidaire. Et tout le monde comprend cela.

 Avez-vous un soutien international ?

 Nous travaillons en effet depuis un an grâce à l'aide de camarades étrangers. Permettez-moi de ne pas énumérer de noms spécifiques, d'autant plus que cette liste est très longue. Il est plus facile de dire qui ne nous soutient pas : ceux qui veulent que les travailleurs continuent à être les consommables obéissants des propriétaires au lieu de prendre leur vie en main.

De nombreux gauchistes en Europe représentent le pacifisme inconditionnel et préféreraient sacrifier l'Ukraine plutôt que de soutenir la guerre. Que pouvez-vous leur dire ?

 Nous pouvons leur dire que le pacifisme n'est pas une alternative à la guerre, car il ne remet pas en cause l'ordre existant, dont les contradictions conduisent à de tels carnages. Bien sûr, les anarchistes ne peuvent pas soutenir le renforcement de l'armée ukrainienne, comme n'importe quelle autre. Mais plutôt que de perdre du temps à protester contre la fourniture d'armes, il serait 100 fois plus utile d'aider les déserteurs et les prisonniers politiques russes (bien sûr, si ces gauchistes sont vraiment contre la guerre, pas timidement pro-Kremlin). Seule la formation de solidarités horizontales au-delà des frontières peut faire naître de nouvelles relations dans la société !

Parlons de solidarité horizontale. Êtes-vous prêt à travailler avec des gens de Biélorussie et de Russie s'ils trouvent contre l'État ?

Ces gens prennent vraiment un risque énorme pour arrêter ce carnage, et cela suffit pour leur en être reconnaissant. A l'exception d'un nombre peu élevé d'extrême droite, nous les soutenons, qu'ils aient une position internationaliste ou des illusions pro-ukrainiennes. Nous ne sommes pas des enquêteurs du FSB ou du KGB pour entrer dans de tels détails très profondément !

Que fait l'État ukrainien dans le combat contre la Russie ?

La question n'est pas correcte par définition. L'État ne fait tout que dans son intérêt et celui de la classe dirigeante, dont l'existence n'est plus bonne en soi. Pourquoi les anarchistes devraient-ils leur donner des conseils sur la manière de défendre correctement ce qu'ils ont volé au peuple ?

Travaillez-vous avec l'armée régulière?

Au début de la guerre, un de nos membres s'est en effet engagé comme volontaire pour aider les soldats ukrainiens, ce qui lui a permis d'établir de nombreux contacts dans les milieux militaires, mais les choses n'allèrent pas plus loin. Par conséquent, nous nous adressons maintenant principalement à ceux qui ne veulent servir dans aucune armée. Quiconque a quelque chose à défendre dans ce pays - laissez-le se battre lui-même pour sa propriété, mais ne gardez pas le reste enfermé dans une cage. Tout de même, il n'y a aucun avantage à ce que des personnes non motivées fassent leur service militaire.


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Une matinée de travail ordinaire à Kharkov : toutes les sorties de la station de métro près de l'usine de construction de machines Turboatom sont bloquées par des militaires, pour leur permettre de remettre aux "clients ciblés" des convocations pour le centre militaire

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Tous les jours il y a également de nombreux barrages routiers, pour contrôler les passants et arrêter les éventuels évasionnistes (ceux qui refusent d'aller à l'armée)

 

Quelle est la situation de la classe ouvrière dans la guerre ?

Si l'Ukraine avant la guerre était le pays avec les salaires les plus misérables d'Europe, la situation s'est encore aggravée l'année dernière. Au moins la moitié de l'économie de notre ville et au moins un tiers de l'économie du pays ont été détruites, des emplois ont été perdus et il est interdit de quitter le pays pour les hommes de 18 à 60 ans. Par conséquent, ils peuvent être exploités par deux ou trois patrons, car ils n'ont pas d'autres options dans la vie civile et les protestations sont impossibles. Des convocation pour rejoindre l’armée sont effectués tous les jours dans toute la ville, mais beaucoup de travailleurs ne s'y présentent pas. Ces convocations ont donc souvent commencé à être émises dans les entreprises, ou simplement par la force en appréhendant es passants dans la rue et les mettre dans des voitures pour les emmener à un examen médical, suivi de l'attente d'un appel au centre de formation militaire (le défaut de présentation à la convocation à l'unité militaire, contrairement au défaut de présentation à l'examen médical, n'est pas menacé d'une amende administrative, mais d'une peine de prison). De ce fait, les patrons avaient peur de perdre beaucoup de spécialistes, alors vendredi dernier le gouvernement a élargi la liste des entreprises qui ont le droit d'exempter 50% de leurs salariés de la mobilisation. Il est logique de supposer que le prix à payer par les travailleurs pour être inclus dans cette liste, ce sera d’endurer des conditions de travail encore pires. Le fait que les pertes dues aux pannes dues aux bombardements russes soient compensées par le personnel et les clients, nous l'avons déjà dit au début.

Que pensez-vous du mouvement anarchiste historique en Ukraine (par exemple la Makhnovshina) ?

Avec plusieurs de nos connaissances extérieures au mouvement anarchiste, nous sommes constamment engagés dans l'étude et la publication de documents sur le riche passé libertaire de Kharkov. Ce n'est pas seulement la Makhnovchina, dont le conseil de commandement soit dit en passant, a été élu près d'Izyum dans le sud de notre région. Au centre de notre ville, il y avait même une rue de l’Anarchie, maintenant appelée la rue Darwin, où à l'époque se trouvaient les quartiers généraux anarchistes dans les manoirs bourgeois expropriés. Heureusement, cette rue n'a pas été touchée par les bombardements, donc une visite guidée colorée en photos est toujours d'actualité !

 Est-ce une tradition toujours d'actualité dans le mouvement actuel ?

 Les anarchistes ont joué un rôle important dans les événements locaux de la fin de 1917 et les transformations révolutionnaires qui ont suivi, lorsque Kharkov est devenue la première capitale de l'Ukraine soviétique. Mais maintenant, ce n'est pas très pertinent, car si au début du XXe siècle, l'Ukraine était un pays d'ouvriers et de paysans, c'est maintenant principalement un pays de retraités, de bureaucratie et de divers organes chargés de l'application des lois. Comme la Russie, d'ailleurs, à l'exception du Caucase et de certaines régions asiatiques. Dans le même temps, même si parmi les travailleurs et l'intelligentsia restants des deux côtés du front, la frénésie nationaliste est déjà bien moindre que l'an dernier, il est désormais impossible en Ukraine qu'émerge d'une troisième force qui mènerait une lutte armée contre les deux États. Bien qu'en raison de l'exode des éléments les plus économiquement actifs vers le front, ils n'aient toujours pas assez d'audace pour penser à un nouveau monde, nous devons nous préparer à une éventuelle situation révolutionnaire si la guerre se prolonge encore quelques années. Ainsi, si en France il y a quelques années le slogan "Fuck 68 - fight now" était populaire, pour nous il est désormais d'actualité de dire "Fuck 1917 - fight now!"

 

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Lettre adressée aux compagnons du groupe tchèque Make Tatoo Not War dont l'action caritative nous a aidés, ainsi que notre communauté, à survivre à l'hiver pendant les coupures constantes d'électricité et de chauffage. Nous racontons comment nous avons disposé de leurs dons et comment vit maintenant la source de Kharkov :

 "Salut !

 Pour résumer la saison dans les termes les plus généraux, le système énergétique ukrainien n'a pas été complètement détruit et les réseaux énergétiques restants ont pu s'adapter aux nouvelles conditions. La consommation d'électricité dans le système économique a également fortement chuté en raison de la fermeture de grandes entreprises industrielles. Si à l'automne ils avaient essayé de redémarrer après chaque panne, il semble maintenant qu'ils se soient complètement arrêtés. Il s'avère donc que le besoin d'un abri communal n'est pas aussi important que nous le pensions. Néanmoins, votre aimable soutien nous a incroyablement aidés et nous avons essayé de dépenser tous les fonds de la manière la plus économique possible, afin qu'une partie d'entre eux reste pour d'autres domaines d'activité.

 C'est tellement symbolique que nous vous écrivions le jour où Kharkov a de nouveau été plongé dans un black-out total. A 14h-15h hier soir, 11 missiles de croisière ont de nouveau touché les infrastructures civiles de la ville, pour la première fois depuis plus d'un mois. Et il y a seulement quelques heures, la lumière a lentement commencé à revenir. Heureusement, le printemps a déjà fait son apparition - aujourd'hui il faisait +12°C - donc personne n'a vraiment ressenti le manque de chauffage.

 Quant au point de chauffe, en fait, ce n'est qu'un grand hall d'entrée dans une maison particulière, capable d'accueillir environ 30 à 50 personnes maximum, cependant comme la nature s'est avérée favorable pour nous cet hiver, il y avait toujours beaucoup d'espace libre et les gens habituellement n'est venu que pour quelques heures. Il se trouve historiquement qu'un seul de nos membres vit dans une maison privée, et le quartier sud marginal d'Osnova, dans lequel se trouve le secteur privé, a un riche passé révolutionnaire. Il y a exactement 105 ans, à la fin de 1918, lorsque Kharkov était occupée par les troupes du Kaiser, la clandestinité bolchevique et anarchiste y était basée. Le soir du Nouvel An 1919, ils ont organisé un soulèvement ouvrier armé et ont pris le contrôle de la ville, en en chassant les nationalistes ukrainiens (lesquels se sont retrouvés sans le soutien des Allemands, qui voulaient rentrer rapidement chez eux et ont élu un conseil de soldats, qui a pris une position amicale envers les rebelles). Presque aussitôt après, la milice anarchiste a été dispersée par les bolcheviks, mais c'est une autre histoire, qui fait l'objet d’un grand article en russe.

Comme à cette époque, Osnova est toujours le site d'un dépôt ferroviaire, où les conditions de travail sont tout aussi terribles que pendant la Première Guerre mondiale : aujourd’hui dans le meilleur des cas, le salaire d’un travailleur ambulant (qui vit dans le train) est de 12 000 UAH par mois, il faut vivre dans un wagon-remorque et manger de la bouillie infâme, travailler pendant 12 heures, sans jamais de temps libre, des gants distribués deux fois par mois, bien que selon les normes de protection du travail, ils doivent l'être tous les jours; si vous travaillez à Kharkov, le salaire ne dépasse pas 7500 UAH et pour cet argent vous vous battez avec un marteau et un pied de biche toute la journée. C'était d'autant plus intéressant d'avoir une conversation plus approfondie avec les locaux venus s'échauffer.

 Ce n'était pas une tâche facile, car c'est le même quartier que celui du lac Osnova (ancien lac Komsomol) où se trouve le fameux check-point en béton. Les flics et les militaires arrêtent régulièrement les navettes et les autobus et remettent des convocations aux conscrits, emmenant parfois simplement des hommes avec eux. Si quelqu'un leur avait dit qu'il y a un centre social anarchiste dans la région, les conséquences pour nous ne peuvent qu'être devinées, mais elles n'auraient été guère agréables. Par conséquent, nous avons essayé de parler en mettant l'accent sur les nouvelles et les événements dans d'autres pays.

 Cependant, une chose amusante s'est produite une fois. Un de nos participants vivant dans un autre district est venu nous rendre visite et, assis dans le couloir avec des personnes venues se réchauffer, a accidentellement dit à un camarade qu'un article pour Assembleia était presque terminé. Un type inconnu de 30-35 ans a entendu cela et a ouvert la bouche de surprise : "Vraiment pour Assembleia ? Wooow... !" Heureusement, il a réussi à expliquer que n'importe qui peut y envoyer du matériel via le formulaire de contact, et pour cela il n'est pas nécessaire de faire partie d'une équipe. C'est une chose de livrer des marchandises aux gens de l'autre côté de la ville et de se dissoudre dans sa nature sauvage, mais juste donner notre base à tout le monde - ce serait trop risqué...

 Il convient de noter que même à une époque pas si ancienne - dans la seconde moitié des années 1990 - la police avait peur d'entrer dans ce quartier, car ils y étaient simplement battus. Bien sûr, maintenant tout est complètement différent : l'âge moyen de la population est d'environ 50 ans, sinon plus ; il y a plusieurs écoles primaires, mais pas d'autres établissements d'enseignement. Mais même dans les zones les moins défavorisées de Kharkov, les gens survivent désormais en grande partie grâce à l'aide humanitaire, aux envois de fonds étrangers et au petit commerce spontané. Par conséquent, nous ne pouvons pas encore parler de la lutte des classes dans la ville. Malgré le fait qu'avec la réduction des pannes d'électricité en février, la fabrication et le secteur des services ont commencé à se relancer progressivement, il est impossible de parler même de la moitié du niveau d'avant-guerre de l'économie - trop d'entreprises ont été détruites ou évacuées.

 Le seul événement hivernal important auquel nous avons participé a été la présentation, exclusivement couverte par nous, de plusieurs initiatives horizontales de développement urbain apparues à Kharkov l'année dernière pour discuter de la manière de rendre la ville confortable pour tout le monde, moins orientée vers le commerce et avoir une communauté active après la guerre.

 C'est tout pour le moment. Merci encore une fois pour tout !"

 9 mars 2023

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2 modèles d’autocollants sont disponibles. Envoi par paquets de e 25, 50 ou 100. (Vous pouvez panacher les modèles). Le prix (port compris) est de 2,50 € pour 25, 5 € pour 50, 7,50 € pour 100 exemplaires. Chèques à l’ordre de CNT-AIT (mention Autocollants Ukraine au dos) à envoyer à CNT-AIT 7 rue St Rémésy 31000 TOULOUSE



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Autocollant 1 : déserteurs de tous les pays, unissez vous !


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Autocollant 2 : paix aux chaumières, guerre aux palais !







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