L’anarchisme britannique succombe à la fièvre de la guerre

Auteur : Alex Alder.


Nous avons traduit ce texte paru initialement sur le site internet britannique libcom car nous pensons que ce tour d'horizon bien écrit et complet décrit bien de la fièvre guerrière affectant sérieusement ce qui passe pour le mouvement anarchiste en Grande-Bretagne et plus généralement le mouvement libertaire anglosaxon puis francophone. Nous avons signalé dans le texte nos propres remarques ou commentaires par l'ajout de NDT.




 

Tout le monde est contre la guerre dans l'abstrait - même les dirigeants de l'industrie de l'armement peuvent se dire qu'ils ne font que pourvoir à la défense et à l'ordre mondial, dissuadant ainsi la guerre. Mais quand la guerre éclate, ce sentiment [contre la guerre] est considéré non pertinent. Que vous soyez pacifique ou non, la guerre est là, et vous êtes soit avec votre nation, votre peuple, soit contre eux. La paix viendra avec la victoire. En tout cas, votre côté est la cause juste, parce que vous vous battez pour la liberté et la justice, pour la démocratie et la stabilité, parce que vos ennemis étaient les agresseurs, et les tyrans et les démons en plus. L'effusion de sang est si facilement sanctifiée.

L'anarchisme tranche à travers une telle mystification. Nous disons clairement comment nous voyons les choses : les travailleurs de différentes nations sont envoyés pour s'entretuer dans l'intérêt de leurs dirigeants. L'antimilitarisme est un principe fondamental de l'anarchisme. Nous comprenons les armées comme une force violente soutenant l'autorité politique (ou ceux qui voudraient la conquérir). Nous soulignons le rôle de la force militaire dans la répression des soulèvements et des grèves chez nous, tout en imposant les intérêts nationaux, en renforçant les marchés capitalistes et en gouvernant les colonies à l'étranger. La recherche et la production militaires sont un investissement hautement rentable de capitaux privés et de fonds publics, notamment en tant que source subventionnée de développement technologique (à des fins de contrôle social et de génération de profit). Nous considérons que le système militaire de hiérarchie et de discipline strictes, parallèlement à sa culture du chauvinisme et de différentiation {identitaire][1], détruit le caractère humain et le remodèle en fonction des besoins de ceux qui commandent.

Alors, comment se fait-il qu'aujourd'hui le mouvement anarchiste en Grande-Bretagne (et ailleurs) soutienne l'armée d'une nation contre une autre, justifiant idéologiquement et approvisionnant matériellement[2] l'effort de guerre ukrainien ? Assistons-nous à quelque chose de tout à fait nouveau qui nous amènerait à remettre en question et à réviser nos principes ? Non. Nous assistons à la même tragédie qui s'abat sur les habitants de la région comme nous l'avons vu maintes et maintes fois. Notre perspective antimilitariste, internationaliste et révolutionnaire est plus vitale que jamais. Au stade actuel, la lutte pour la libération est prise dans le no man's land entre l'invasion impérialiste d'un côté et la défense nationale (soutenue par un impérialisme opposé) de l'autre. Chercher une raison dans l'une ou l'autre des tranchées serait juste plus de combustible dans la fournaise de la guerre capitaliste ; cela signifierait allégeance à l'État contre l'anarchie.

Défense nationale et anti-impérialisme

La fièvre de la guerre se répand, du vénérable[3] journal anarchiste Freedom jusqu’à la Fédération anarchiste (AFed) en passant par la "scène" anarchiste autour des antifascistes et d'autres groupes militants. Au début, cela consistait en des applaudissements pour le soi-disant "peloton anti-autoritaire", une unité de la Défense territoriale composée d'anarchistes et d'antifascistes, entre autres[4]. La participation aux structures militaires était justifiée par la nécessité de se défendre, et était adoucie par un récit narratif de résistance populaire indépendante. Mais la réalité était tout autre. Les Forces de défense territoriales sont la force de réserve de l'armée ukrainienne, soumises à sa structure de commandement. Il n'est pas question d'autonomie. Un membre du peloton anti-autoritaire a observé que dans leur unité « il [y avait] une hiérarchie militaire normale avec des commandants de section et des commandants de peloton subordonnés à des officiers militaires supérieurs. »[5] D'autres anarchistes et antifascistes ont rejoint l'armée régulière. Rhétorique mise à part, cela signifie une collaboration à la défense nationale en rejoignant l'armée de l'État, d'une manière ou d'une autre.

Que certaines personnes choisissent de rejoindre ou de soutenir la défense militaire de la nation dans laquelle elles résident alors que cette dernière est menacées par la domination impérialiste est compréhensible[6] et je ne juge personne qui fasse des choix aussi difficiles. Mais ce n'est pas de l'anarchisme – ce n'est pas compatible avec les idées ou les pratiques anarchistes. Personne n'est à la hauteur de ses idéaux dans tout ce qu'il fait, mais ces compromis et contradictions doivent être acceptés comme tels, et non être intégrés dans notre théorie et à notre pratique de sorte qu'à son tour notre mouvement soit intégré dans la société du Capital et de l'État.

Au fur et à mesure que la réalité de la collaboration devenait plus claire pour les anarchistes britanniques, le message s'élargit au soutien à la défense de l'Ukraine, tout en maintenant la rhétorique de la "résistance populaire". « De l'Ukraine à l'Écosse en passant par le Sahara occidental, la Palestine et le Tatarstan, nous sommes aux côtés des peuples qui résistent à l'impérialisme »[7], proclame Darya Rustamova dans les pages de Freedom (et repris par la Fédération Anarchiste AFed). Cette déclaration soulève plus de questions qu'elle n’apporte de réponses. Qui sont "  les peuples " ? Par quels moyens résistent-ils ? Pour quelle finalité ?

Dans le passé, la Fédération Anarchiste a pu voir clair dans ces propos vides de sens, affirmant que « en tant que communistes anarchistes, nous nous sommes toujours opposés au nationalisme et avons toujours marqué notre distance par rapport à la gauche en nous opposant verbalement à tout nationalisme, y compris celui des "nations opprimées". Alors que nous nous opposons à l'oppression, à l'exploitation et à la dépossession pour des raisons nationales, et que nous nous opposons à l'impérialisme et à la guerre impérialiste, nous refusons de tomber dans le piège si courant de la gauche consistant à s'identifier avec celui "donné perdant d’avance" [underdog] et à glorifier "la résistance" - même "de manière critique" - qui est facilement observable dans les cercles léninistes/trotskystes. »[8]

L'article de Rustamova, « Mille drapeaux rouges », rend explicites ses prémisses nationalistes en régurgitant la différenciation gauchiste du bon et du mauvais nationalisme. La nuance entre les différentes expressions du nationalisme dans différents contextes est sans aucun doute réelle et significative. Le nationalisme d'une colonie en lutte pour l'indépendance est évidemment différent du nationalisme de l'empire. Pourtant, pour les deux, l'État est leur fin (l’établir, le défendre ou l’étendre) ; les deux suppriment ou obscurcissent la division de classe sous la nationalité ; et les deux servent les intérêts d'une classe dirigeante (actuelle ou future). Les traits communs à tous les nationalismes et qui les définissent comme tels sont précisément ceux que nous rejetons en tant qu'anarchistes et internationalistes révolutionnaires.

« Les anarchistes ont pris la défense de leur patrie (homeland) »[9], annonce le rédacteur en chef du magazine de la Fédération Anarchiste, Organise !, dans le numéro 96. Mais quelle patrie ont les anarchistes ? La "patrie" est une notion sentimentale de l'État-nation dans lequel est né chaque individu. Ce sont les sentiments d'appartenance, d'allégeance et de nostalgie qui lient l'individu à la nation. Cela clarifie le saut incontestable qui a été fait entre la défense nationale de l'Ukraine, en tant que nation souveraine, défendant son territoire contre l'invasion (c'est-à-dire la défense nationale), et l’auto-défense des anarchistes ou d'autres individus se défendant. C'est un argument puissant pour partir à la guerre dans la mesure où peu renonceraient au droit de légitime défense. Mais il suppose une identité entre la nation et soi-même, une formulation de l'idéologie nationaliste que les anarchistes rejettent. Sans hésitation, les anarchistes sont passés d’une position de soutien à la défense d'unités anarchistes "semi-autonomes" dans une
"résistance populaire" à celle de battre les tambours de guerre pour la victoire militaire de l'Ukraine et la défaite totale de la Russie.

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Des membres du peloton anti-autoritaire posant avec le matériel militaire reçu ou achété grâce aux dons de Solidarity Collective

L'autojustification ultime de l'État est de préserver la sécurité et le bien-être de ses sujets. La guerre avec d'autres nations est la plus grande force unificatrice de l'État (au début, du moins). Le magazine anarchiste ukrainien Assembleia confirme que « nous devons comprendre que l'unité nationale des Ukrainiens autour du pouvoir de Zelensky ne repose que sur la peur d'une menace extérieure »[10]. Participer dans cette unification et mettre en avant ce même instinct de conservation comme explication, c’est non seulement donner une légitimité au pouvoir idéologique de l'État, mais c’est aussi soutenir le renforcement matériel de l'État. Affirmer la nécessité de participer à la défense nationale et de rejoindre l'armée de l'État, c'est accepter la nécessité de l'État. Assembleia déplore que « la majorité de ceux qui s'identifient comme anarchistes en Ukraine […] ont immédiatement fusionné avec la classe dirigeante dans une seule impulsion nationaliste. »[11] Le pouvoir de l'État sur la vie et la mort, sur la guerre et la paix, est précisément l’un de ses l'un des critères de définition, il revient aux anarchistes de critiquer et de renverser ce pouvoir, pas de se rabattre sur lui faute de mieux comme un mal nécessaire.

Parallèlement au rejet théorique de l'unité nationale, il est important de remettre en question la réalité pratique de l'hypothèse selon laquelle notre sécurité personnelle est liée à la sécurité nationale. Des réflexions à ce sujet sont proposées par Saša Kaluža, un anarchiste en Ukraine, qui déclare que « le but de l'État ukrainien et de ses structures militaires dans cette guerre est de conserver son pouvoir, le but de l'État russe et de ses structures militaires est d’accroitre son pouvoir. La participation d'anarchistes dans les structures de l'un ou l'autre de ces États ne facilite pas la situation des Ukrainiens qui souffrent de la guerre entre deux États. Tous les mots sur l'armée défendant les gens, la société et leur terre ne sont qu'une partie de la propagande d'État, et l'histoire le montre. Il n'est possible d'arrêter la guerre qu'en opposant les deux États. »[12] En ce qui concerne spécifiquement les unités de volontaires, il soutient que la « Défense territoriale est un bon exemple révélateur de la façon dont les structures de volontaires initiées et contrôlées par l'État ne peuvent remplir des fonctions de soutien volontaires seulement qu’ au sein de l'État, par des méthodes étatiques et uniquement pour protéger l'État lui-même, et ne peuvent réellement aider la population en matière de sécurité et d'autres besoins primaires qui surviennent dans les situations de crise. »[13] On peut en outre douter que la participation d'une centaine d'anarchistes et d'antifascistes dans les forces armées [ukrainiennes, qui compte plus d’un millions de soldats] ait un quelconque impact sur l'issue de la guerre, alors qu'autant d'agitateurs dévoués pourraient constituer un noyau important d'antimilitarisme[14].

Nous devons regarder au-delà de la vision binaire en noir et blanc de l'agresseur et de la résistance, de la nation impérialiste et de la nation opprimée, révélant la complexité des antagonismes de classe, des structures de pouvoir et des hiérarchies sociales au sein de chaque État-nation, identifiant la force latente de l'internationalisme de la classe ouvrière .

En soutenant l'Ukraine, les anarchistes britanniques se sont retrouvés du côté de l'OTAN, une alliance militaire impérialiste qui défend les intérêts des principales nations capitalistes d'Europe et d'Amérique du Nord. Mais plutôt que de prendre cela comme une opportunité de répudier l'OTAN, reconnaissant une simple coïncidence d'intérêts dans cette situation particulière, les anarchistes britanniques ont vacillé dans leur opposition, sympathisant avec l'impérialisme occidental comme un frein à l'impérialisme russe. Cela est particulièrement évident dans l'article de Zosia Brom, « Fuck Leftist Westplaining »[15] [que l’on pourrait traduire par « j’emmerde les gauchistes occidentalocentrés » NDT], publié dans Freedom (dont elle était alors rédactrice en chef) et réimprimé dans Organise! numéro 96 par la Fédération Anarchiste. Supposer la nécessité de l'adhésion à l'OTAN pour la sécurité de l'Europe de l'Est est sans aucun doute correct du point de vue de la diplomatie d'État et des relations internationales, mais nous ne sommes pas des politiciens et nous ne faisons pas partie de l'appareil décisionnel de l'État. En tant qu'anarchistes, nous devons répondre aux manœuvres des États-nations et des blocs impérialistes du point de vue de la classe ouvrière. Autonome de toute machine étatique, sa realpolitik ne nous appartient pas. Notre anti-impérialisme ne peut pas être le réflexe stalinien de soutenir quiconque s'oppose à l'impérialisme occidental - mais il ne peut pas non plus impliquer de se tourner vers ledit impérialisme pour maintenir nos droits et notre sécurité. Plutôt que de penser en termes d'agence nationale, nous devons penser en termes de classe, en termes de lutte sociale.

Antifascisme et lutte des classes

Ni l'État russe ni l'État ukrainien ne peuvent être décrits avec précision comme fascistes, bien que tous deux aient toléré, permis et utilisé des éléments fascistes chaque fois que cela s'avérait opportun. Cependant, l'État russe a atteint un niveau de nationalisme autoritaire, de répression interne et d'expansionnisme revanchard comparable aux régimes fascistes du XXe siècle. L'État ukrainien peut mieux être décrit comme une démocratie néolibérale et corrompue[16]. Il est nécessaire de rejeter complètement la propagande russe de "dénazification" de l'Ukraine. Mais les anarchistes en Grande-Bretagne ont simplement renversé la situation, qualifiant la défense militaire de l'Ukraine de lutte antifasciste. Cela risque de légitimer la guerre au nom de l'antifascisme, une manœuvre idéologique sur laquelle Poutine a joué de manière si transparente. Projeter nos idéaux antifascistes sur la défense nationale de l'Ukraine ne modifie pas sa réalité matérielle.

L'antifascisme idéologique peut servir à obscurcir les intérêts de classe et à subordonner la lutte révolutionnaire aux fronts populaires de défense de l'État démocratique[17]. [Dans cette perspective], le mouvement vers l'anarchie est reporté à un temps futur, plus opportun, alors que la menace immédiate du fascisme (ou d'une tendance totalitaire comparable) redessine le tableau général. L'objectif intermédiaire de défendre les droits limités de la société démocratique devient la seule et unique référence légitime. L'unification idéologique se reflète dans l'unification sociale dans des alliances interclassistes qui rassemblent gouvernants et gouvernés, exploiteurs et exploités contre la menace exceptionnelle.

Si cela signifie la défaite du fascisme, la protection de la vie réelle et des libertés, abandonner ses principes peut être compréhensible. Mais nous aurions dû apprendre du XXe siècle que ce n'est rien d'autre qu'une parodie[18]. Encore et encore, l'État démocratique que défendaient les fronts populaires a cédé la place au fascisme avec à peine plus qu'un gémissement. Ces États ont donné la priorité - par la contre-révolution - à la consolidation de leur autorité, même si cela signifiait permettre ou embrasser le fascisme. « Le combat pour un État démocratique est inévitablement un combat pour consolider l'État, et loin de paralyser le totalitarisme, un tel combat accroît l'emprise du totalitarisme sur la société. »[19] L’Etat peut évoluer dans un sens démocratique ou dictatorial, cela dépend de ce qui est nécessaire pour la continuité du capitalisme et de l’État lui-même. C'est par la lutte contre l'État en tant que tel que nous pouvons à la fois affronter les tendances autoritaires à moyen terme tout en renversant les conditions qui les produisent à long terme.

Guerre et lutte révolutionnaire

Ces anarchistes soutenant l'Ukraine ont révélé une grande confusion sur la façon dont nous nous rapportons à la guerre en tant qu'anarchistes. Certains maintiennent leur rhétorique anti-guerre tout en soutenant une partie contre une autre. D'autres confondent la guerre avec la lutte pour la liberté. Et certains embrassent pleinement le bellicisme, toutes choses étant justifiées par l'opposition à la Russie.

Peter Ó Máille (rédacteur en chef du magazine de la Fédération Anarchiste Organise!) se débarrasse avec désinvolture de l'antimilitarisme ouvrier en méditant que «Pour l'Anarchiste, il n'y a qu'une seule guerre qui compte et c'est la guerre des classes, sauf quand ce n'est pas le cas. Il y a des fascistes qu'il faut combattre, il y a des despotes, des tyrans et des empires. Ils ne vont pas rentrer chez eux du fait de votre pétition et ses fortes déclarations[20] ». Nous convenons surement de la nécessité de lutter contre des tyrans tels que Poutine, mais le cœur du problème réside dans les moyens par lesquels nous le faisons. Et ici, nous trouvons des représentations biaisées et de la confusion. La guerre entre des nations et la "guerre de classes" sont de nature distincte. Les anarchistes sont contre la guerre dans le sens d'un conflit militaire entrepris par l'autorité politique. La "guerre des classes" est un terme figuratif, faisant référence à la lutte entre les classes encadrée par les rapports sociaux capitalistes. La lutte révolutionnaire de classe est l'effort collectif de la classe ouvrière pour transformer ces relations sociales, qui ne peuvent être modifiées par la guerre au sens propre du terme. La guerre, en fait, grave ces relations sociales dans le marbre par le sang.[21]

La guerre a été traitée, en général, non pas comme une guerre entre deux États, mais comme une lutte pour la liberté de l'Europe de l'Est. la victoire de la Russie renforcerait son régime totalitaire en interne et encouragerait la poursuite de l’assujettissement de ses voisins, tandis que la défaite de la Russie, nous dit-on, inciterait à l'effondrement du gouvernement de Poutine et renforcerait la gouvernance démocratique dans la région, en maintenant des conditions favorables à la lutte sociale. Ici, il est clair que les méthodes et les principes de l'anarchisme ont été entièrement abandonnés au profit de la doctrine de l'humanitarisme militaire (illustrée par les interventions de l'OTAN dans le pays du Sud et les Balkans). Ayant adopté une telle logique, ce n'était qu'une question de temps avant que les anarchistes ne commencent à demander aux pays membres de l'OTAN d'envoyer plus d'aide militaire à l'Ukraine (ou à déplorer son manque hésitant).

Les résultats politiques, sociaux et économiques de la guerre sont imprévisibles. Il n'est pas improbable que l'Ukraine émerge de la guerre en tant qu'État autoritaire, partenaire actif de l'impérialisme militaire de l'OTAN et très sensible aux idéologies d'extrême droite dont les fanatiques auront été renforcés par la guerre à plus d'un titre. Même si la démocratie libérale survit en Ukraine, rien ne garantit que ces conditions seront favorables à la lutte pour la libération. Un État démocratique bénéficiant d'un soutien populaire aura le champ libre pour réprimer calmement les rébellions d'après-guerre et l’agitation sociale. Les anarchistes mécontents seront facilement présentés comme des séparatistes et des saboteurs soutenus par la Russie, ou simplement ignorés dans la vague de patriotisme écrasant et de désir d'un retour à la normalité et à la stabilité, qui pourrait suivre une victoire militaire. (…)

Les anarchistes ont toujours compris que la transformation sociale que nous souhaitons voir ne peut pas se produire au moyen de l'État ou de la force militaire d'aucune sorte, mais doit se développer de bas en haut parmi les personnes opprimées et exploitées elles-mêmes. Les guerres ne peuvent qu'imposer une nouvelle forme d'autorité, même si cette nouvelle autorité est un moindre mal. Différer la lutte contre le capitalisme et l'État après la "victoire" ne fait que garantir que les conditions d'une nouvelle guerre et de l'oppression demeurent, tout en sapant la lutte contre elles. La guerre n'est pas un moyen de libération. Tout comme nous utilisons l'action directe, l'auto-organisation, l'entraide et le sabotage pour poursuivre nos fins révolutionnaires, ces mêmes moyens peuvent être utilisés pour saper les tyrans et les envahisseurs, sans faciliter d'autres formes de domination.

L’action basée sur des Principes

La cohérence des moyens et des fins est une notion fondamentale de l'anarchisme. Les principes qui nous guident et les méthodes que nous employons sont un fil continu reliant nos luttes partielles d'aujourd'hui à la révolution sociale que nous cherchons à hâter et à la société libre qui en naîtra. L'action basée sur des principes sous-tend tout ce que nous faisons. En défendant l’évolution vers l'action militaire étatique, des anarchistes sont tombés dans des contradictions fondamentales, qu’ils ont résolues par une série de falsifications et de concessions.

L'antimilitarisme, l'internationalisme, etc., sont tous très beaux en théorie, nous dit-on, mais en fin de compte ne sont que de vaines abstractions[22]. Ces concepts ne sont tout simplement pas applicables à la réalité à laquelle sont confrontés les anarchistes sur le terrain. Ici, nous voyons la séparation de la théorie et de la pratique. La théorie appartient aux livres, serions-nous amenés à croire, tandis que les plans et les pratiques des anarchistes sont dictés par la force des choses. Le moindre mal remplace tout objectif autodéterminé comme point de référence, tandis que l'opportunisme devient la mesure de tout choix. La nécessité justifie tout, en fin de compte.

Ce qu'on oublie, c'est que la théorie et la pratique de l'anarchisme s'inspirent l'une de l'autre dans un processus constant de développement mutuel. C'est par l’accumulation d’expériences – de succès et de défaite, de guerre et de paix, de révolution et de réaction – de génération en génération, partout dans le monde, que nous avons cultivé une méthode de liberté : l'anarchisme. Il est faux d'opposer principes et pragmatisme, car nos principes sont la cristallisation de ce qui fonctionne précisément[23]. Il peut y avoir des options plus attrayantes à court terme, par rapport à des intérêts plus immédiats, mais ces options nous éloigneront toujours plus de nos objectifs. Les anarchistes, par exemple, refusent d'agir au sein des structures de l'État ou de collaborer avec les forces de l'État, non par obéissance à un dogme indiscutable, mais parce que nous savons que par de tels moyens nous ne ferons que perpétuer le pouvoir de l'État, que notre lutte sera récupérée dans des canaux politiques et remodelée par pressions institutionnelles. Nous le savons à la fois par une analyse abstraite de l'État moderne et par les expériences d'individus, d'organisations et de mouvements entiers.

Une telle compréhension était autrefois au cœur de la Fédération anarchiste. Maintenant, ils dénigrent ouvertement les principes anarchistes comme des "slogans" utilisés pour esquiver l'analyse critique, provoquer des réactions émotionnelles et fermer tout débat. L'agitation antimilitariste est comparée aux pratiques manipulatrices et autoritaires des Brexiters et de l'extrême droite[24]. Cela ne reflète tout simplement pas la réalité du travail de propagande des groupes “No War but the Class War” ("Pas de guerre mais la guerre des classes"), pour qui ce slogan est juste le titre de leur bulletin[25]. Pendant ce temps, l'éditeur de la revue théorique de la Fédération Anarchiste, Organise!, affirme maintenant que « je doute que la théorie fonctionne après le premier tir de barrage d'artillerie sur le quartier »[26]. Dans ce cas, autant renoncer et enfiler de suite nos uniformes. L'anarchisme, conclurions-nous, n'est rien d'autre qu'un idéalisme naïf, appartenant à un monde plus pacifique que le nôtre. Je dirais, bien au contraire, que c'est précisément en ces temps de conflits exacerbés, d'enjeux élevés et de menaces mortelles, que tirer les leçons de notre passé est plus vital que jamais. Et je dirais que loin de se limiter à des conditions idéales, le mouvement anarchiste a une forte tradition d'antimilitarisme en temps de guerre, ainsi que des efforts héroïques et constructifs au plus profond de la crise et du désastre.

Une fois que nous avons séparé nos méthodes de nos buts, nos idées de nos actions, il ne nous reste plus que la règle de l'opportunisme : le moyen le plus efficace d'atteindre des objectifs immédiats, indépendamment d'autres considérations. Si la victoire militaire de l'Ukraine et l'effondrement du gouvernement de Poutine passent avant tout, il existe des moyens beaucoup plus efficaces de poursuivre cet objectif que de former des unités de défense territoriale "anti-autoritaires" idéologiquement liées, composées de volontaires ayant peu ou pas d'expérience de combat. Il est tout à fait logique que les anarchistes et autres militants de gauche combattant dans la guerre soient frustrés par le rôle d'auxiliaire et les limitations bureaucratiques auxquels est confronté le "peloton anti-autoritaire" et se dispersent dans des unités de combat plus efficaces de l'armée plus près de la ligne de front. Et puisque « les fascistes sont bien mieux organisés dans les rangs de l'armée ukrainienne »[27] – partageant également la motivation de se battre en première ligne – il est prévisible que « les tentatives pour se faire une place dans les rangs militaires ont amené [les combattants anti-autoritaires] directement aux unités directement liées aux groupes fascistes ukrainiens »[28] et
« d'une manière ou d'une autre, devenir des forces qui soutiennent le développement de la politique d'extrême droite en Ukraine »[29]. C'est le résultat logique de l'abandon des principes anarchistes aux besoins pratiques des efforts de guerre.

Dans notre propre contexte, la fièvre guerrière qui a vaincu l'anarchisme britannique conduira probablement à un soutien à l'intervention militaire britannique (par le biais d'une aide militaire et d'un soutien technique, sinon d'une implication directe dans les combats) et, par extension, à l'impérialisme de l'OTAN. C'est par de tels moyens que l'Ukraine pourra vaincre la Russie. Étant donné que les membres de l'OTAN hésitent actuellement à entrer dans une escalade de conflit direct entre puissances nucléaires, certains anarchistes se retrouvent dans la position absurde d'être plus désireux de la généralisation de la guerre impérialiste que leurs propres classes dirigeantes. Les anarchistes s'engageront-ils dans l'armée britannique pour aller tuer des Russes ? Heureusement, nous n'avons pas de députés anarchistes pour voter pour les crédits de guerre.

Le moindre mal

Dans notre condition prolétarienne de dépossession, d'impuissance et d'aliénation, toute notre vie a été réduite à la recherche du moindre mal. En regardant l'invasion brutale de l'Ukraine par la Russie, les crimes de guerre qu'elle a perpétrés et la dure répression infligée à ses propres citoyens, nous pourrions identifier la défense nationale de l'Ukraine comme le moindre mal. Pourtant, reconnaître qu'il existe un moindre mal ne signifie pas, sans plus de raison, qu'il faille le soutenir. Et, d'un point de vue anarchiste, nous ne pouvons trouver aucune bonne raison de collaborer avec l'un ou l'autre des États. En même temps, refuser de soutenir un État contre un autre ne signifie pas assimiler les deux camps. Nous ne disons pas que les deux côtés sont les mêmes, simplement qu'aucun n'a rien à offrir à la classe ouvrière[30]. Les différentes structures et forces d'oppression doivent être analysées dans leur nature particulière, et l'action peut se concentrer sur l’une plutôt que l'autre, sans recourir à la collaboration.

Le moindre mal reste un mal. En défendant son territoire, l'État ukrainien ne s'est pas transformé en une force du bien. Alors que la guerre fait rage, la classe capitaliste en Ukraine n'a fait qu'intensifier son exploitation et ses abus contre les travailleurs, soutenue par de nouvelles restrictions contre les actions revendicatives et le démantèlement des droits des travailleurs.[31] C'est-à-dire contre ceux qui n'ont pas encore été enrôlés pour les champs de massacre. La conscription est une forme d'esclavage, à laquelle il faut résister à tout prix. Les frontières de l'Ukraine ont été fermées à tous les hommes en âge d’être enrôlés (une catégorie dans laquelle les femmes trans ont été incluses, effaçant leur identité) pour permettre le ratissage de la chair à canon. Pendant ce temps, l'Ukraine contribue à la guerre génocidaire au Tigré, apportant son soutien à l'utilisation de drones par l'armée éthiopienne.[32] Sur la voie du moindre mal, les conditions politiques et économiques qui produisent la guerre et la dictature continueront à se perpétuer ; « on oublie que choisir un mal – même s'il s'agit d'un moindre mal – est le meilleur moyen de le prolonger. »[33]

Nous devons choisir nos propres batailles. La menace de cooptation et de contre-insurrection fait que nous semblons constamment privés de la possibilité de combattre selon nos propres termes. Qu'il s'agisse de pousser les mouvements sociaux dans le cimetière électoral ou d’emmener la rébellion dans le champ du conflit militaire, notre véritable force sociale est perdue, nous laissant dans la situation d’être une opposition contrôlée ou bien un ennemi symétrique à l'État qui peut être isolé et écrasé. La force de l'anarchisme - ce qui en a fait une force véritablement subversive en dehors et contre tout système d'autorité - est que les anarchistes ont constamment lutté pour se battre selon leurs propres termes, même si cela signifie faire face à la marginalisation ou à la répression. Si au début nous parlons seuls avec la voix de l'internationalisme révolutionnaire, la marée peut rapidement tourner - une marée qui déferle assez souvent vers la fin et l'immédiat après-guerre.

Ni Est Ni Ouest

Beaucoup des anarchistes en Ukraine et dans toute l'Europe de l'Est se sont jetés derrière l'effort de guerre de l'Ukraine. Cela crée une tension avec l'agitation antimilitariste et internationaliste en Grande-Bretagne et dans le monde. Comme le dit Peter Ó Máille, « Vous ne supportez tout simplement pas d'écouter les anarchistes d'Europe de l'Est, hein ? […Vous] oubliez d'écouter les putains de locaux alors que [vous] agissez comme le Politburo de l'anarchisme. S'il vous plaît, fermez votre gueule. »[34] Pendant ce temps, Zosia Brom déplore le "westplaining" – les gauchistes occidentaux expliquant avec condescendance aux Européens de l'Est leur propre réalité. Nous devrions « être informés que de nombreux gauchistes d'Europe de l'Est sont sur la même position [que nous]i, et nous en discutons depuis un moment maintenant ».[35]

De cette manière, le débat entre anarchistes de guerre et anarchistes antimilitaristes est recadré dans une confrontation entre l'Europe de l'Ouest et l'Europe de l'Est, entre l'ignorance et l'arrogance des Occidentaux d'une part, et le "consensus" pro-ukrainien en Europe de l'Est d'autre part. Il s'agit bien sûr d'un dispositif rhétorique pour faire honte à toute critique. En réalité, de nombreux anarchistes en Europe de l'Est, y compris certains en Ukraine même, ont répondu à l'invasion russe par une propagande et une action internationalistes et antimilitaristes. Le collectif anarchiste derrière le magazine Assembleia, basé à Kharkov, en Ukraine, a résisté à l'impulsion du militarisme nationaliste et a choisi de se concentrer sur l'entraide, la contre-information et le conflit de classe. Toutes les sections de l'internationale anarchosyndicaliste Association internationale des travailleurs (IWA) de la région d’Europe de l’Est– en Pologne[36], en Slovaquie[37], en Serbie[38] et en Russie[39] – ont clairement pris position en faveur de l'internationalisme révolutionnaire. Une Initiative antimilitariste basée en Europe centrale a été lancée en réponse à la montée du militarisme à travers l'Europe, notamment dans le mouvement anarchiste. Ils peuvent être une minorité, mais les anarchistes n'ont aucune foi dans les vertus inhérentes de toute majorité. Il y a aussi un problème d'eurocentrisme dans la dichotomie Est contre Ouest, puisque les réactions internationalistes à l'invasion de l'Ukraine peuvent être observées partout dans le monde.[40]

Même sans de tels exemples concrets, il faut se méfier de quiconque prétend parler au nom de toute une région, comme si les anarchistes d'Europe de l'Est étaient un collectif homogène avec un consensus d'opinion. La logique de la représentation elle-même doit être scrutée par les anarchistes. Ainsi, ceux qui disent parler au nom de toute la région « n'extraient qu'une seule tendance de l'ensemble multidimensionnel et ignorent ou minimisent les autres ».[41] Par contraste, [le réseau « des anarchistes de la région d’Europe centrale »] affirme « nous essayons d'écouter autant de voix que possible, mais nous ne soutenons que celles que nous trouvons constructives. D'autres que nous critiquons et refusons de soutenir. Bref, nous percevons des tendances différentes et n'essayons pas de soutenir la propagande de guerre qui dépeint la population ukrainienne comme une communauté unie appelant unanimement à s'engager dans la guerre. »[42] Il faut écouter, oui, mais aussi penser par soi-même.

Je rejette totalement la construction d'un paradigme "nous" et "eux" entre l'Europe de l'Est et l'Europe de l'Ouest. Nous nous relions les uns aux autres en tant qu'individus et collectifs sur la base de luttes partagées et de principes partagés, et non en tant que blocs géopolitiques. Le KRAS (la section russe de l'AIT) a été calomnié et ses membres ont été doxxés[43]41 pour ne pas s'être rangés derrière le supposé "consensus" pro-ukrainien, malgré leur effort anti-guerre [et leur critique sans ambiguïté du régime russe].

L'un des auteurs de ce doxxing s'est ensuite vu accorder une tribune en Grande-Bretagne par Freedom[44], dans une interview sur la défunte RKAS (Confédération Révolutionnaire des Anarchistes-Syndicalistes) d'Ukraine, une organisation accusée de dynamique autoritaire sectaire et de sympathies nationalistes, dont les membres se sont dissous dans le conflit entre l’Etat Ukrainien et les séparatistes d du Donbass[45]. Dans le même temps, les éditeurs de Freedom ont refusé de publier quoi que ce soit de contraire à leur ligne pro-ukrainienne[46]. Ce type de tribalisme peut déchirer les mouvements internationaux.

Internationalisme de la classe ouvrière

« La position de" pas de guerre sauf la guerre de classes "n'est pas une échappatoire, c'est un principe à la fois de long terme et de court terme qui nie le faux choix entre [la peste ou le choléra]. Pour en faire une réalité, nous devons être encore plus actifs pour encourager l'internationalisme dans la classe ouvrière dans la mesure où les gens ordinaires se sentent suffisamment en confiance, organisés et soutenus pour résister à leurs gouvernements bellicistes et à leurs mouvements de libération nationale. »

Organise ! # 52 (1999), Fédération anarchiste

Ne vous méprenez pas, en nous opposant aux guerres capitalistes, nous ne plaidons pas pour la paix à tout prix. Nous ne sommes pas des pacifistes. Il ne peut y avoir de paix entre les peuples tant qu'une partie de la société opprime et exploite les autres. L'application violente du pouvoir et de la richesse sous-tend tout dans notre société, et en temps de guerre, elle éclate à la surface dans une terrible orgie de sang. Une structure de pouvoir se heurte à une autre ; mais peu importe celui qui gagne, notre esclavage continue. Notre combat est de renverser ces pouvoirs et de construire de nouvelles formes sociales sans hiérarchie. Nous ne serons pas des victimes passives de la violence : toute lutte pour la liberté doit se défendre quand c'est nécessaire. Il y a une longue histoire de partisans libertaires luttant contre les gouvernements oppressifs et les occupants. Des milices armées et des unités de guérilla relevant des travailleurs auto-organisés (telles que les syndicats révolutionnaires et les conseils ouvriers) ont vu le jour en période de révolution sociale[47]. Le peuple armé est le plus sûr rempart contre la contre-révolution. Mais les armées régulières – des forces permanentes et spécialisées monopolisant la violence légitime avec une discipline hiérarchique – sont une fonction du pouvoir d'État (et un rudiment de l'État en formation)[48].

En Ukraine et en Russie, il n'y a pas de révolution, seulement la guerre. La guerre entre les nations doit donc être transformée en lutte de classe ouverte. Cela commence lorsque les travailleurs rejettent la trêve sociale au sein de leur "propre" nation et s'organisent sur une base de classe contre les personnes qui les oppriment et les exploitent chaque jour[49]. Les internationalistes visent à renforcer la solidarité entre les travailleurs à travers les frontières, tout en faisant campagne pour que les soldats fraternisent, désertent et se mutinent. Les infrastructures militaires peuvent être sabotées, comme cela s'est produit sur les chemins de fer reliant la Russie et la Biélorussie à l'Ukraine[50]. Des réseaux d'entraide peuvent être mis en place, afin que les gens puissent s'entraider pour survivre à la dévastation et aux difficultés. les insoumis, les déserteurs, les prisonniers et les réfugiés[51]. Tous ces efforts vitaux et les nouvelles formes émergentes de lutte sociale doivent être organisés par le bas, indépendamment de toutes les structures étatiques, militaires et corporatives. Les anarchistes peuvent prendre l'initiative d'agiter et d'organiser une telle activité, tout en plaidant pour l'internationalisme de la classe ouvrière et en s'opposant aux mesures autoritaires de l'État militarisé.

Les travailleurs du monde entier peuvent intensifier la lutte latente sur leurs lieux de travail et leurs communautés, en prenant des mesures directes contre les industries de guerre et le commerce des armes par des grèves, des boycotts et des sabotages. Il est impératif que nous nous opposions au bellicisme et à la militarisation en Grande-Bretagne et en Europe, en résistant à la généralisation de la guerre. L'action directe est déjà utilisée efficacement par les militants contre les entreprises d'armement liées aux Forces de défense israéliennes, par exemple[52].

Nous devons lier la lutte de classe en Grande-Bretagne, qui s'intensifie actuellement en raison de la crise du coût de la vie, aux luttes auxquelles est confrontée la classe ouvrière en Ukraine et en Russie. Le groupe NWBCW Liverpool a fait de l’agit-prop sur cette base sur les lignes de piquetage à travers la région de Liverpool pendant la vague de grève actuelle. Nous devons diffuser des informations sur les luttes quotidiennes et les actes de rébellion émergents dans les territoires en guerre, et trouver des moyens de les soutenir dans la pratique[53]. En attendant, nous pouvons chercher à aider les personnes fuyant la guerre, qu'il s'agisse de réfugiés civils ou de déserteurs militaires[54]. L'Initiative de solidarité Olga Taratuta en France offre un bon exemple d'un tel soutien concret[55]. Cela devrait renforcer une lutte plus large contre le régime frontalier de la "Forteresse Europe" et la politique britannique de "l'environnement hostile". Certains anarchistes en Grande-Bretagne ont suivi cette voie de l'internationalisme de la classe ouvrière – comme le Groupe communiste anarchiste, la Liverpool Solidarity Federation[56], et le réseau AnarCom – mais ils sont une minorité.

L'invasion russe de l'Ukraine et la paupérisation de la classe ouvrière en Grande-Bretagne sont toutes deux les produits du même système capitaliste en crise. Et cette crise capitaliste ne peut être surmontée que par la lutte révolutionnaire mondiale de la classe ouvrière. Si cette lutte révolutionnaire et cette solidarité ouvrière internationale restent encore se développer, il est de notre devoir d'aider à leur réalisation[57]. Ce que disaient les anarchistes pendant la Première Guerre mondiale n'est pas moins vrai aujourd'hui : « Le rôle des anarchistes, quel que soit l’endroit ou la situation dans laquelle ils se trouvent, dans la tragédie actuelle, est de continuer à proclamer qu’il n’y a qu’une seule guerre de libération : celle qui, dans tous les pays, est menée par les opprimés contre les oppresseurs, par les exploités contre les exploiteurs. Notre rôle c’est d’appeler les esclaves à la révolte contre leurs maîtres. »[58]

En Grande-Bretagne, nous sommes au cœur de l'économie capitaliste mondiale et de l'impérialisme de l'OTAN ; tomber dans la fièvre guerrière en ce moment est désastreux. La lutte des classes est déjà menée par nos patrons, banquiers, oligarques et leurs laquais au gouvernement : nous pouvons riposter ou nous pouvons aller à l'abattoir.

 

 

 

 

 


 



[1] Les anarchistes ne sont pas moins sensibles à ces pressions, malgré tous nos idéaux, comme on peut le voir avec les combattants anarchistes en Ukraine qualifiant les soldats russes d'« orques » et de « horde de Poutine ».

[2] Des anarchistes ont collecté des fonds pour les Collectifs de solidarité [Solidarity Collective]  (anciennement Opération Solidarité [Operation Solidarity]) qui fournissent des fournitures militaires aux militants libertaires et antifascistes des forces armées ukrainiennes (en plus de l'aide humanitaire). Entre février et juin 2022, sur 59 680 € dépensés par l'Opération Solidarité, 41 404 € ont été utilisés pour des « causes militaires ». https://operation-solidarity.org/2022/07/06/operation-solidarity-the-end/

[3] Freedom est la plus ancienne publication anarchiste de Grande Bretagne, depuis 1886

[4] Depuis le début de la guerre, ils se sont dispersés dans diverses unités de la Défense territoriale et de l'armée régulière (beaucoup d'entre eux ont été transférés pour les rapprocher du front), mais toujours reliés par le Comité résistance » [Resistance Committee ] et soutenus par les Collectifs de solidarité [Solidarity Collectives].

[5] “Defensive war as an act of popular resistanc: Exclusive Interview with an Anarchist Fighter of the Territorial Defense Forces of Ukraine. La guerre défensive comme acte de résistance populairn,  Entretien exclusif avec un combattant anarchiste des Forces de défense territoriales d'Ukraine. https://enoughisenough14.org/2022/06/02/defensive-war-as-an-act-of-popular-resistance-exclusive-interview-with-an-anarchist-fighter-of-the-territorial-defense- forces-ukrainiennes/

[6] Tout comme il est compréhensible que d'autres personnes cherchent à fuir les zones de guerre et cherchent refuge ailleurs, pour échapper à l'enrôlement ou à la désertion militaire.

[7]  ‘A thousand red flags’ « Mille drapeaux rouges », Darya Rustamova.

https://Freedomnews.org.uk/2022/03/07/a-thousand-red-flags/

[8]  ‘Against Nationalism’,  « Contre le nationalisme », Fédération anarchiste.

https://theanarchistlibrary.org/library/anarchist-federation-against-nationalism

[9] Editorial, Organise! #96. https://organisemagazine.org.uk/3d-flip-book/organise-96-plus/

[10] ‘War in Ukraine and desertion: Interview with the anarchist group “Assembly” of Kharkiv’, « Guerre en Ukraine et désertion : entretien avec le groupe anarchiste « Assemblée » de Kharkiv », Commission des relations internationales de la Fédération anarchiste italienne. https://umanitanova.org/guerra-in-ucraina-e-diserzione-intervista-con-il-gruppo-anarchico-assembly-di-kharkiv-iten/ Pour une traduction en français : « Assembleia maintient le drapeau anarchiste en Ukraine, face à l’armée russe et face au gouvernement ukrainien »

https://nowar.solidarite.online/blog/assembleia-maintient-le-drapeau-anarchiste-en-ukraine-face-a-larmee-russe-et-face-au-gouvernement-ukrainien

[11] Ibid.

[12]  ‘Anarchist Organization in Times of War and Crisis’, « Organisation anarchiste en temps de guerre et de crise », Saša Kaluža. https://enoughisenough14.org/2022/03/07/anarchist-organization-in-times-of-war-and-crisis-ukraine/

[13] Ibid.

[14] En 2018, en relation avec la guerre contre les séparatistes soutenus par la Russie dans la région du Donbass, mais avant la pleine invasion russe de 2022, le groupe anarchiste ukrainien « RevDia » (qui participe désormais au Comité de résistance) affirmait que « l'armée est un structure hiérarchique, où un soldat ordinaire ne peut pas influencer le cours de la guerre », et que « … l'armée ne nous protège pas. Et ne défend pas nos intérêts ».

https://theanarchistlibrary.org/library/rev-dia-thought-of-war

https://theanarchistlibrary.org/library/rev-dia-anarchism-in-action#toc6

[15] 'Fuck Leftist Westplaining', Zosia Brom. https://Freedomnews.org.uk/2022/03/04/fuck-leftist-westplaining/

[16] Même si l'extrême droite extra-parlementaire en Ukraine ne doive pas être passée sous silence.

[17] Il ne s'agit pas ici d'une critique de l'antifascisme de manière générale, mais d'une idéologie antifasciste particulière / singulière [NdT : l’Antifascisme, avec un A majuscule] qui prévalait dans les fronts populaires du milieu du XXe siècle et qui continue d'être présente dans l'opposition libérale au fascisme.

[18] « Pour les révolutionnaires, et particulièrement pour les anarchistes, l'expérience tragique de l'Espagne en 1936 devrait suffire à se garder d'illusions à l'égard de l’Antifascisme, qui n'est que la défense des formes démocratiques de gestion capitaliste, la réconciliation des classes, l'option du « moindre mal » et l'abandon de l'horizon révolutionnaire. https://malcontent.noblogs.org/post/2022/03/28/reflections-on-the-ongoing-capitalist-butchery-russia-ukraine-vamos-hacia-la-vida/

[19] « Quand meurent les insurrections », Gilles Dauve

https://libcom.org/article/quand-insurrections-die-gilles-dauve

[20] Editorial, Organise !, numéro #96

https://organisemagazine.org.uk/3d-flip-book/organise-96-plus/

[21] Voir, par exemple, ‘Why Do Anarchists Go To War?, « Pourquoi les anarchistes vont à la guerre ? », par RevDia, mars 2022. Présenté dans Organise! #96. https://organisemagazine.org.uk/3d-flip-book/organise-96-plus/

[22] par exemple, « L'analyse [internationaliste] est […] pleine d'abstractions et irréelle sur le terrain, d'où les anarchistes ukrainiens demandent notre aide pratique, y compris du matériel militaire ». Cité de « Ukraine – Anarchist Approaches » dans Organise ! #96. https://organisemagazine.org.uk/3d-flip-book/organise-96-plus/

[23]  ‘Pragmatism as Ideology’, « Le pragmatisme comme idéologie », Joseph Kay.

https://libcom.org/article/pragmatism-ideology

[24]  ‘The Trouble With Slogans’, « Le problème avec les slogans », Emma Hayes, Organise ! #96. https://organisemagazine.org.uk/3d-flip-book/organise-96-plus/

[25] Voir la liste des positions internationalistes du groupe NWBCW de Liverpool. https://nwbcwliverpool.wordpress.com/internationalist-positions/

[26] Editorial, Organise! #96. https://organisemagazine.org.uk/3d-flip-book/organise-96-plus/

[27] ’A political and personal statement as well as a review of our solidarity work around the war in Ukraine so far’, "Une déclaration politique et personnelle ainsi qu'un examen de notre travail de solidarité autour de la guerre en Ukraine jusqu'à présent", Anarchist Black Cross Dresden. https://enoughisenough14.org/2022/12/04/a-political-and-personal-statement-as-well-as-a-review-of-our-solidarity-work-around-the-war-in-ukraine-so-far-anarchist-black-cross-dresden/

[28] Ibid.

[29] Ibid. NDT : dans une interview donné au début de la guerre au web magazine marxiste Mouvement et repris par le «Réseau Syndical International de Solidarité et de Luttes » (regroupant notamment CGT espagnole, CNT-SO en France, USI en Italie et IP en Pologne) dans son livre aux éditions Syllepses «UKRAINE ; solidarités syndicales en temps de guerre », Sergyi Sevchenko (sous le pseudonyme de Tatar Kobzar) et qui se présente comme « anarcho-syndicaliste » indique : « Je sers dans une unité créée par des nationalistes, qui est approvisionnée par les autorités municipales et par des volontaires, et qui est financée par des entreprises privées. Nous donnons des cours sur l’anarchisme aux combattants et nous organisons des comités de soldats qui veillent au bien-être des combattants et au respect de leurs droits sans que cela ne pose aucun problème. On peut trouver arme à la main dans une même tranchée un anarchiste, un nationaliste, un euro-optimiste, un simple paysan, un ouvrier ou un informaticien sans opinion politique précise. Tous sont unis par un même désir de protéger leur peuple, et l’indépendance et la liberté de l’Ukraine. Nous sommes tous frères et sœurs, nous sommes le peuple ! C’est le slogan universellement partagé et la seule idéologie qui règne aujourd’hui. La Révolution française de 1789 a créé une nation française, la révolution ukrainienne de 2013-14 et surtout la guerre de 2022 sont en train de créer une nouvelle nation, la nation ukrainienne. Le peuple s’est réveillé. Les 600 années de lutte et de souffrance du peuple ukrainien touchent à leur fin. « Puis de conclure « « Bien sûr, je préférerais que notre guerre se place sous la bannière de Nestor Makhno (fondateur de l’Armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne, qui, après la révolution d’Octobre et jusqu’en 1921, combat à la fois l’armée tsaristes contre-révolutionnaire et l’armée rouge bolchévique) et non de Stepan Bandera (homme politique et idéologue nationaliste ukrainien qui a collaboré avec l’Allemagne nazie), encore que la figure de Makhno soit assez populaire ici ! Je souhaiterais bien sûr combattre au nom de l’anarchie plutôt que de la Nation, mais il ne s’agit que de symboles et de mots qui ne changent rien à la nature réelle du mouvement qui traverse l’Ukraine. En tout cas, actuellement, à choisir entre : « Vive le Roi » et « Vive la Nation », je choisis sans hésiter la Nation ! »

L’irruption de la Russie en Ukraine, https://mouvements.info/leruption-de-la-russie-en-ukraine/

Cf. la page face book de Sergiy SEVCHENKO :

https://www.facebook.com/Serg.Shevchenk0/posts/pfbid02K6B8bhu1fqTFaGdr7KdyFaHoycnegrGtsAhbyL3LExFwJVEJ9mJNV1c2UTbjKmWVl

[30] « Le nationalisme ne peut rien offrir d'autre que de nouvelles séries de conflits, qui devraient augmenter en nombre et en gravité à mesure qu’augment la concurrence nationale sur les ressources énergétiques mondiales en déclin. Lorsque le conflit est défini en termes nationaux – entendu comme le conflit entre une nation opprimée et une nation oppressive – la classe ouvrière est nécessairement perdante » in «Anarchist Federation against nationalism »  La Fédération Anarchiste contre le nationalisme ».

https://theanarchistlibrary.org/library/anarchist-federation-against-nationalism

[31]  ‘Ukraine’s anti-worker law comes into effect’, « La loi anti-ouvrière ukrainienne entre en vigueur », openDemocracy. https://www.opendemocracy.net/en/odr/ukraine-labour-law-wrecks-workers-rights/

[32] « La Turquie, membre de l'OTAN, vend au gouvernement éthiopien des drones dont les moteurs sont fabriqués en Ukraine, à Kyiv. Le gouvernement de l'Ukraine qui - bien que lui-même sous la menace de l'impérialisme - n'a pas hésité à assurer le service après-vente et à envoyer des techniciens mercenaires pour apprendre à l'armée impérialiste éthiopienne comment utiliser ces drones contre les populations du Tigré. »  http://cnt-ait.info/2022/02/27/tigre-ukraine/

[33]  ‘The Lesser Evil’, « Le moindre mal », Dominique Misein. https://theanarchistlibrary.org/library/dominique-misein-the-lesser-evil

[34]  Editorial, Organise! #96. https://organisemagazine.org.uk/3d-flip-book/organise-96-plus/

[35]  'Fuck Leftist Westplaining', Zosia Brom. https://Freedomnews.org.uk/2022/03/04/fuck-leftist-westplaining/

[36]  ‘Against the war !’, ZSP. https://zsp.net.pl/przeciw-wojnie. Voir aussi, les actions anti-guerre devant les ambassades de Russie et d'Ukraine. https://zsp.net.pl/anti-war-actions

[37]   Articles antimilitaristes reproduits de la CNT-AIT et du KRAS. https://www.priamaakcia.sk/Medzinarodny-den-zien-a-vojna-na-Ukrajine.html et https://www.priamaakcia.sk/Ruska-sekcia-Medzinarodnej-asociacie-pracujucich-KRAS-odpoveda- na-otazky-tykajuce-sa-vojny-na-Ukrajine.html

[38]  ‘Let's turn capitalist wars into a workers' revolution!’ « Transformons les guerres capitalistes en révolution ouvrière ! », ASI. https://iwa-ait.org/content/lets-turn-capitalist-wars-workers-revolution

[39]  ‘No war !’, « « Déclaration des anarchosyndicalistes russes : la guerre a commencé … », KRAS. https://aitrus.info/node/5921

[40]  NdT : voir par exemple la prise de position internationaliste de l’ULET, section de l’AIT en Colombie

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[41]  « Antimilitarisme anarchiste et mythes sur la guerre en Ukraine », Quelques anarchistes de la région d'Europe centrale.

https://www.autistici.org/tridnivalka/antimilitarismus-antimilitarisme-anarchiste-et-mythes-sur-la-guerre-en-ukraine/

[42]  Ibid.

[43]  NdT : Les noms, date de naissance et adresse personnelle d’au mouns un militant de la KRAS-AIT ont été rendus publics sur internet. On sait quel traitement réserve la police russe et les groupes paramilitaire nationalistes russes à celles et ceux qui contestent la politique de Poutine … ‘Again about “anarchists” who forget the principles’, « encore une fois, à propos des “anarchistes” qui oublien les principes » KRAS-AIT. https://iwa-ait.org/content/again-about-anarchists-who-forget-principles

Dubovnik doxxing KRAS AITpng

[44]  ‘Leftists” outside Ukraine are used to listening only to people from Moscow: Interview with anarcho-syndicalists in Eastern Ukrainehttps://Freedomnews.org.uk/2022/10/04/leftists-outside-ukraine-are-used-to-listening-only-to-people-from-moscow-interview-with-rkas-anarcho-syndicalists-in-eastern-ukraine/ NdT : la seconde personne interrogée dans l’article de Freedom, est Serguiy Sevchenko, se disant anarchosyndicaliste mais ne cachant pas ses sympathies nationalistes, à chaque message qu’il poste sur sa page Facebook ou dans les interviews qu’il a pu donner par ailleurs. Cf note supra.

[45]  ‘Caution: platformist party and psychosect