RUSSIE : explosions de réactions spontanées contre la mobilisation

Nous avons précédemment rendu compte de la résistance de la population ukrainienne face à la mobilisation pour le conflit militaire impérialiste russo-ukrainien : insoumission généralisée, fuite des assujettis au service militaire, discours des enrôlés dans l'armée et de leurs familles... Après l'annonce de la mobilisation par le Kremlin le 21 septembre, des manifestations similaires ont éclaté en Russie. Beaucoup ne veulent pas aller tuer ni mourir pour les ambitions et les profits de la classe dirigeante.

Recrutement OMS 2022-09-21pngScène de recrutement dans la région de Omsk


La réaction la plus courante des citoyens russes a été l'exode à l'étranger. Rien qu'au cours des 4 premiers jours, plus de 260 000 hommes ont quitté le pays.

D'énormes files d'attente s'alignent aux passages frontaliers. Les résidents de Russie profitent du fait que (contrairement à la situation des personnes passibles du service militaire en Ukraine) ils ne sont pas encore interdits de voyager à l'étranger, bien que les autorités à la frontière essaient apparemment de mettre toutes sortes d'obstacles sur le chemin de ceux qui cherchent à partir, et essaient souvent de leur remettre sur-le-champ des convocations pour la mobilisation. De plus, la solidarité entre États (même ceux en guerre les uns contre les autres) s'est très vite imposée dans le fait que les réfractaires au service dans n'importe quelle armée et les déserteurs de n'importe quel pays sont considérés par eux comme des éléments dangereux et potentiellement subversifs. La Commissaire européenne à la Migration, aux Affaires intérieures et à la Citoyenneté, Ylva. Johansson, s'est exprimé dans cet esprit. Les États baltes ont ouvertement annoncé qu'ils ne laisseraient pas entrer dans leur pays les citoyens russes qui cherchent à fuir la mobilisation.

Afin d'empêcher l'évasion massive de la mobilisation et de la conscription dans l'armée, les autorités russes renforcent encore la législation répressive. Des modifications ont été apportées au Code pénal, selon lesquelles, pour avoir quitté une unité, ou pour ne pas se présenter au lieu du service militaire et ou ne pas se conformer à l'ordre du commandant pendant la loi martiale, vous risquez désormais jusqu'à 10 ans de prison. Des convocations sont remises aux hommes partout, jusque dans les lieux publics.

En réponse directe à l'annonce de la mobilisation, des manifestations, des rassemblements et d’autres protestations ont éclaté en Russie d'une ampleur jamais vue depuis le printemps, quand elles avaient été écrasées par une répression féroce. Selon l’ONG des droits de l'homme OVD Info, déjà le 21 septembre, des actions anti-guerre ont eu lieu dans au moins 39 villes du pays, dont Moscou, Saint-Pétersbourg, Iekaterinbourg, Perm, Tcheliabinsk, Oufa, Krasnoïarsk, Voronezh, Krasnodar, Tver, Saratov, Kaliningrad, Riazan, Petrozavodsk, Irkoutsk, Arkhangelsk, Tulu, Novosibirsk, Korolev, Oulan-Oude, Jeleznogorsk, Izhevsk, Samara, Salavat, Volgograd, Vologda, Iakoutsk, Tomsk, Kazan, Tioumen, Ivanovo, Syktyvkar, Surgut, Nizhny Novgorod, Kaluga, Vyatskiye Polyany, Smolensk et Belgorod. Les jours suivants, les manifestations de rue se sont poursuivies. Elles se sont déroulés sous diverses forme, depuis les manifestations non autorisées jusqu’aux piquets individuels et collectifs. Dans tous les cas, les manifestations ont été brutalement réprimées par les forces répressives de l'État.

Du 21 au 26 septembre, 2 415 personnes ont ainsi été capturées lors de manifestations contre la mobilisation (https://ovdinfo.org/#). Certaines des personnes capturées ont été immédiatement convoquées au bureau d'enregistrement et d'enrôlement militaire.

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"Цинковый гробик на колёсиках уже на твоей улице" "Le cercueil en zinc sur roues est déjà dans votre rue"  3 octobre 2022, Nouvelle action d'un groupe artistique non identifié sur le quai du canal Griboïedov à Saint-Pétersbourg (via la Résistance Féministe Anti-Guerre)

Les manifestations les plus puissantes, qui se sont transformées en affrontements violents avec les forces répressives et une désobéissance civile généralisée, ont éclaté au Daghestan [république du Caucase de la Fédération de Russie, frontalière de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan]. Dans un premier temps, les manifestants ont bloqué l'autoroute à Babayurt, après quoi le chef de la république de Daghestan a appelé les bureaux d'enregistrement et d'enrôlement militaires à travailler plus soigneusement afin qu’aucun homme ne manque à l’appel. Le 25 septembre, des manifestations ont commencé dans le village d'Endirey, dans le district de Khasavyurt, où des habitants indignés ont bloqué l'autoroute. Puis les manifestations se sont propagées le même jour à la capitale du Daghestan, Makhachkala. Les gens ont scandé : "Non à la guerre", "Nos enfants ne sont pas de l’engrais". Selon l'avocat Arsen Magomedov, il existe une menace réelle d'explosion sociale à grande échelle. À Khasavyurt, la police, dispersant le rassemblement, a battu et arrêté tout le monde, y compris des femmes et des enfants, utilisant des matraques, des pistolets paralysants et du gaz au poivre. A Makhachkala, les initiateurs du discours anti-guerre étaient des femmes. La manifestation devant le théâtre de marionnettes a rapidement pris de l'ampleur, rejointe par des centaines de personnes. Les forces répressives ont alors bloqué l'accès à la place. Au départ, bien que la police locale faisait preuve de nervosité, elle n’osait pas disperser la foule de manière décisive. Mais ensuite, les flics ont commencé à arrêter les gens. Une bagarre a alors éclaté entre des manifestants et des policiers en civil. Cependant, ce n’est qu’après le déploiement de la Garde nationale sur la place que l'action a été très brutalement réprimée dans la soirée, plus de 120 personnes se retrouvant entre les mains des autorités répressives.

Cependant la violente répression à Makhatchkala n'a pas arrêté les manifestations au Daghestan. Un ultimatum aux autorités a été diffusé sur les réseaux sociaux appelant à la libération immédiate de toutes les personnes arrêtées ; sinon, les initiateurs exhortaient [sur le canal télégram "le livre noir du capitalisme"]  les habitants de tous les villages à emprunter les routes de toute la république et à les bloquer. En conséquence de quoi suite à cet ultimatum populaire, la plupart des personnes capturées ont été libérées. Cependant, 8 personnes ont été malgré tout poursuivies.

Apparemment, les autorités du Daghestan ont été effrayées pour de bon. Sur internet a circulé un ordre signé par le commissaire militaire du Daghestan Mustafaev selon lequel la mobilisation dans la république était annulée. L'existence de cet ordre a ensuite été réfutée. Cependant, le commissaire militaire a annoncé à la télévision que ni les personnes sans expérience militaire ni les conscrits ne seraient pas enrôlés sur les fronts ukrainiens, et que les rumeurs répandues au Daghestan selon lesquelles 13 000 personnes seraient enrôlées dans cette région étaient fausses. Le chef de la république a promis de "corriger les erreurs" commises lors de la mobilisation, mais n'a pas manqué d'accuser des "forces extérieures étrangères" d'organiser les manifestations.

Le même jour, un rassemblement de protestation, à l’appel également principalement de femmes, a eu lieu sur la place principale de Naltchik, capitale de la république de Kabardino-Balkarie [république caucasienne au nord de la Géorgie]. Les participants ont exigé des autorités qu’elles laissent leurs proches tranquilles et qu’elles ne les emmènent pas à la guerre. Les fonctionnaires qui se sont adressés à eux ont essayé de se justifier en faisant référence au fait qu'ils ne faisaient que « respecter la loi fédérale russe» et obéir aux ordres.

À Iakoutsk, en Sibérie centrale, environ 400 personnes, pour la plupart des femmes, sont venues sur la place Ordzhonikidze au centre de la ville et ont organisé une action anti-guerre sous la forme d’une « osouokhaï », une ronde dansée traditionnelle iakoute. Les jeunes filles ont été les premières à se tenir la main, elles ont été soutenues par des femmes plus âgées, après quoi d'autres manifestants ont progressivement commencé à rejoindre le cercle. Les participants ont scandé "Non à la guerre!". Au début, la police a persuadé les manifestants de se disperser, puis s'est écartée et a laissé les femmes tenir l'osouokhaï. Mais à un moment donné, les policiers se sont retrouvés au centre de la ronde, encerclés par les femmes qui se sont alors mises alors à scander "Laissez vivre nos enfants !"

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Policiers encerclés par des femmes dansant une ronde " osouokhaï " à Iakoutsk

Après un certain temps, la police a commencé à frapper et arrêter les gens ; les manifestants ont réagis en criant "Honte!" . Selon OVD Info, 24 femmes ont été capturées par la police.

A Kyzyl, la capitale du Tuva [république de Sibérie, frontalière de la Mongolie et turcophone] le 29 septembre, des dizaines de femmes sont descendues dans la rue contre la mobilisation. Une vingtaine d'entre elles ont été capturées par la police. Les forces répressives les ont grossièrement poussées dans un panier à salade pour les emmener au poste de police, où elles ont été interrogées et forcées donner leurs empreintes digitales.

Il est rapporté qu'en plus des manifestations de rue, les cas d'incendie criminel de bureaux d'enrôlement militaire et de bâtiments administratifs sont devenus plus fréquents. Entre le 21 et le 29 septembre, on décompte dans la presse au moins une vingtaine de tentatives d’incendie, la plupart du temps par jet de cocktails Molotov contre des bureaux militaires ou administratifs, dans de nombreuses régions de la Fédération de Russie et notamment dans les républiques périphériques du Caucase ou de Sibérie, zones pauvres et rurales d’où viennent la plupart des soldats envoyés jusque-là se faire tuer en Ukraine. La plupart de ces tentatives ont fait peu de dégâts.

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Incendie du centre de recrutement de Lomonosov, 25 septembre 2022

Dans la nuit du 24 septembre, devant la porte du local du parti au pouvoir "Russie Unie" à Salavat (Bashkortostan, république située entre la Volga et les Monts Oural dans l'est de la Russie européenne), quelqu'un a mis le feu à des pneus de voiture.

Au petit matin du 26 septembre, un habitant d'Uryupinsk a incendié sa voiture devant le bureau d'enregistrement et d'enrôlement militaire puis a lancé des cocktails Molotov sur le bâtiment. Le feu touché l'entrée du bâtiment et s'est propagé sur une superficie de 100 mètres carrés.

L'ampleur de la distribution et la dispersion géographique de ces actions indiquent qu'elles sont non coordonnées, purement spontanées. [Les faibles dégâts infligés montrent qu’il ne s‘agit pas d’actions de « professionnels »]. Dans un effort pour intimider les incendiaires potentiels, l'état-major de l'armée russe a déclaré que les incendies criminels seraient désormais considérés comme des actes de terrorisme, passibles de 15 ans de prison.

Cependant, il existe des cas d'autres actions de personnes encore plus désespérées. Ainsi, le 25 septembre, à Riazan un homme s'est immolé par le feu à la gare routière centrale. Un témoin oculaire a déclaré que l'homme avait crié qu'il ne voulait pas participer à la guerre avec l'Ukraine. La police l'a emmené dans l'arrière-salle, puis les ambulanciers sont arrivés et l'ont emmené. Selon un témoin oculaire, tous les vêtements ont brûlé sur l'homme

Et le 26 septembre, Ruslan Zimin, 25 ans, venu au bureau d'enrôlement militaire d'Oust-Ilimsk, dans la région d'Irkoutsk, a ouvert le feu avec des armes à feu sur le commissaire militaire, le blessant gravement. Le jeune homme arrêté a déclaré aux enquêteurs qu'il avait décidé de tirer à cause de la mort de son meilleur ami de 19 ans lors des combats en Ukraine. De plus, après l'annonce de la mobilisation partielle, son cousin, Vasily Gurov, 21 ans, avait reçu une convocation. Il a déjà été noté que Zinin, 25 ans, lui-même devait être mobilisé.

D’après des infos de la section de l’AIT en Russie (KRAS-AIT)

https://www.aitrus.info/node/6018


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Texte publié dans le numéro 3 du bulletin de l'Initiative de solidarité "Olga Taratuta"